Ma semaine de freelance a commencé par le mail suivant :
« Bonjour Anissa,
Le volume mensuel que nous souhaitons est de 30 000 mots rémunéré 300 euros (soit un prix au mot de 0,01€)
Nous souhaitons une collaboration de très longue durée (les rédacteurs actuels travaillent avec nous depuis plus de 3 ans).
Si vous êtes d’accord avec ces conditions nous pouvons procéder à un test dès maintenant, je vous laisse revenir vers moi. »
J’ai très soudainement pensé à la chanson de Britney Spears, « I’m a slave », ça tombait vachement bien, la mission consistait à écrire des articles sur l’érotisme et les sextoys. J’aurais pu me taire, fermer ma grande gueule et laisser couler. Finalement, j’ai répondu le plus poliment possible, car j’avais quand même des envies de trucider mon interlocuteur virtuel.
« Trucider, verbe transitif, (latin trucidare) : Faire périr de mort violente, assassiner. »
Voici ma réponse :
« Bonjour XXX,
merci pour ces précisions. En tant que rédactrice confirmée je facture en moyenne 60-80 euros pour un article de 500 mots.
Je suis sûre que vous trouverez un rédacteur débutant prêt à travailler pour ce tarif proposé.
Bonne continuation,
Anissa. »
En réalité, j’aurais voulu répondre :
Bonjour toi l’esclavagiste des temps modernes,
je constate avec dépit que des personnes malhonnêtes comme toi profitent de la précarité des indépendants pour établir des prix qui défient toute concurrence. Je te rappelle que le SMIC en France s’élève à environ 1.457,52 EUR. Si nous partons donc du principe qu’il faut rédiger 30 000 mots, donc 60 articles de 500 mots et que le rédacteur (assez désespéré pour accepter ce pacte avec le diable capitaliste) a besoin d’environ 1 heure pour torcher tes textes, cela revient donc à une charge de travail de 60 heures par mois payée… 300 euros bruts. Ah mais oui, parce que les freelances paient des charges et impôts (RSI, mon amour !), n’oublions pas. A la fin du mois, le rédacteur aura donc travaillé 60 heures payées 300 euros bruts, donc payées en réalité 225 euros nets (environ 25% de charges en auto-entrepreneur à déduire).
Mais toi cher client, tu ne gagnes sûrement pas 225 euros nets de la semaine. D’ailleurs, c’est marrant, je suis même archi persuadée que jamais tu ne travaillerais pour un tel salaire de miséreux. Tu as d’ailleurs un poste quelconque de cadre commençant par « Chef de projet machin chose » et à la fin de l’année tu espères que le petit papa Noël t’accordera (parce que tu as été un esclavagiste irréprochable) ton augmentation pour avoir enfin 42K annuels. Bizarrement il ne te viendrait jamais à l’esprit de faire ce petit calcul mathématique qui prouverait aux yeux de tous, mais aussi de ta personne, que ton freelance ne pourra probablement pas se payer d’huîtres à Noël. Bah non, puisque tu le payes en dessous du SMIC, donc en-dessous d’une limite légale et surtout éthique. Ce sera donc champagne et foie gras pour toi, eau et pain sec pour ton rédacteur – qui devra d’ailleurs travailler sous le sapin pour rendre ses 60 articles payés trois fois rien (3 x 0 = 0, ça ne te rappelle pas le primaire ?). Pendant que tu chanteras » Il est né le divin enfant », ton rédacteur chantera les louanges du nouveau sextoy turbo giant XXL avec cette drôle de sensation de se l’enfoncer bien profond.
Et puis ce qui me fait sourire, c’est de penser que tu arrives à expliquer ton tarif sans un frisson de honte. 1 centime/mot, donc 5 euros pour un article rédigé par un freelance qui a un bac +5 en poche. 5 ans d’études pour être payée 5 euros bruts par article. Mon papa a fait les gros yeux et il a dit : « Je ne t’ai payé des études en prépa littéraire et au CELSA pour que tu touches 5 euros bruts par heure. » Ah oui, parce que dois-je te rappeler, cher client esclavagiste, que le SMIC horaire en France s’élève à 9,67€ ? Tu ne le savais pas ? Ou pire encore, tu t’en fous ? Parce que tu as beau être chef de projet, ce n’est pas toi qui prends les décisions. Ah oui, en fait tu n’y tiens plus trop à tes responsabilités. C’est drôle ça, ça se veut chef de projet un jour, puis exécutant le lendemain. Toi, cher client, tu aurais fait sacrément carrière sous Hitler. Un surveillant de camp de concentration irréprochable : docile et impitoyable à la fois. Eh bien tu vois, les temps n’ont pas vraiment changé. Sauf qu’aujourd’hui tu écrases les plus faibles, planqué derrière ton écran d’ordinateur. Ton bouclier technologique, il est quand même super pratique. Et le plus drôle dans l’histoire, c’est qu’il y a des gens qui acceptent de travailler pour toi et se soumettent à cette esclavagisme 2.0.
Et quand tu lis mon mail, tu te dis : « Mais qu’est-ce qu’elle me veut, cette râleuse ? J’ai plein de gens qui seraient ravis de bosser pour moi ! »
Personne n’a envie d’écrire des articles longs comme mon bras (ou tes godemichets vendus la peau des fesses) et payés l’équivalent d’un double cheese burger (brut ! Il faudra donc retirer les oignons et les cornichons). Non, si les freelances acceptent ces tarifs scandaleux ce n’est pas pour casser les prix du marché, mais pour payer leur loyer. Mais pourquoi fais-tu cette tête étonnée, client esclavagiste ? Tu ne savais pas que les freelances payaient un loyer ? Et même qu’ils doivent le payer en début de mois. Tu n’y penses sûrement pas quand tu oublies de faire le virement à J+30 de la facture. (« ça va quoi, on n’est pas à une semaine près. ») J’ai pu remarquer au cours de mes années en freelance que ce sont très souvent les clients les plus radins qui paient en retard. Ceux qui ont du budget ont également de l’estime pour leurs prestataires externes, ce qui les poussent donc à les payer dans les temps. Le pire, c’est que la plupart des freelances ne se plaignent pas des retards de paiement, par peur de perdre cette mission.
Tu vois où on en est arrivés dans ce monde de brutes ? Les freelances ont peur de perdre des missions pourries payées trois kopecks. Pourquoi ? Parce que des gens comme toi détruisent le marché et les tarifs. Je vais illustrer mes propos par un exemple. Tu vois, c’est un peu comme les appartements parisiens. La demande est supérieure à l’offre. Du coup, les propriétaires se frottent les mains et demandent 650 euros pour un 11 mètres carrés si mal coupés que tu peux te faire des œufs brouillés sans te lever de ton lit. Sauf qu’à Paris, un nouveau décret a été mis en place qui encadre les loyers. Et c’est là que je me dis qu’on devrait peut-être faire pareil pour les missions des freelances. Ou du moins pourrait-on exiger un tarif minimum qui empêcherait des gens malhonnêtes comme toi de pratiquer des tarifs abusifs. Oui parce que si je fais le calcul sur un mois, je serais payée 800 euros bruts grâce à ta générosité incommensurable. De quoi payer le loyer, l’électricité… Ah bah non, j’ai pas assez d’argent pour payer mon forfait Internet. Dommage pour toi, tu vas devoir les écrire toi-mêmes tes articles sur les godemichets géants !
Sur ces bonnes paroles, je te souhaite bonne continuation. Je ne m’en fais pas pour toi, ta carrière d’esclavagiste semble toute tracée. D’ailleurs, ça sent même la promotion en 2017, « Entubeur Senior », bravo !
PS : Cette histoire m’a fait penser au film « Modern Times » de Charlie Chaplin, d’où le choix de la photo de couverture.
Super article Anissa, ça reflète très bien ce que je pense aussi. À mon avis, ce type de clients jouent – plus ou moins consciemment – sur la confiance que le freelance (débutant ou non) a en ses propres capacités. Mais ne nous décourageons pas ! Il existe aussi plein de clients super 🙂
Bravo! Et, vous devriez peut-etre même lui envoyer le fond de votre pensée qui s’il ose le lire, lui fera, je le souhaite, un grand bien!
Tout est dit, bravo pour cet article criant de véritéS. Moi même freelance, je me retrouve pleinement dans tes propos. Alors merci ! Oh et btw, je découvre avec grand plaisir ton blog, et j’adore Bonne journée à toi !
Bien répondu !
Je suis aussi rédactrice pour une agence de content marketing, j’ai de la « chance » car elle me paie 7.50 euros les 1500 signes. Donc un article de 4000 signes qui me prend 1 à 2 heures de travail (recherche, conception, écriture, relecture) me rapporte 20 euros brut. Ce n’est pas exorbitant mais c’est le meilleur tarif que j’aie trouvé !
Une autre agence m’avait répondue en me proposant 4 euros les 1000 mots (et non pas signes !). J’ai répondu non direct en expliquant que ce n’était pas un tarif correct au vu du travail nécessaire à l’élaboration des articles… C’était une agence basée en Espagne, peut-être que ce sont les tarifs pratiqués là-bas… ?
Bonjour chère consoeur,
Je plussoie vos propos.
Merci de les avoir écrits, ils m’ont rappelé tristement une de mes dernières prospections
« ce n’est pour le moment pas rentable pour moi de payer plus de 5€ des articles de 350/400 mots. Mais vous aurez du travail longtemps »
– à cela, je lui ai souhaité bonne continuation dans son projet, coupant net toute possibilité de négociation avec moi.
Les clients passent aussi par les plateformes comme le Pôle-Emploi se sentant tels de bons samaritains qui œuvrent pour sortir de la précarité nos chers chômeurs (sic).
merci encore pour votre article, et même plus généralement pour votre blog que j’irai fouiner incessamment.
Très belle fin de journée
WAHOU. Mais Anissa, tu aurais du lui répondre EXACTEMENT ça ! J’aime ton article, je partage partout <3
Très belle réponse à cette demande outrageante ! Malheureusement certains perdent la notion de la réalité, du prix du travail et du coût de la vie (hors de toute notion de confort ou de luxe, n’en parlons même pas !)
Apprécions la proposition d’esclavage de longue durée, de sa part ça devait sûrement être positif, mais une misère, même sur 3 ans, ça reste une misère !
Je te souhaite de continuer à travailler avec des gens avec qui cela vaut la peine de travailler !
Bien répondu , freelance ne veut pas dire bonne poire !
Je trouvais l’article vraiment bien écrit, argumenté et irrévérencieux juste ce qu’il faut jusqu’à la comparaison du client avec un surveillant de camp de concentration…?! Dommage. Je comprends que tu sois énervée, tu as raison de le dire, mais là c’est un peu déplacé à mon humble avis.
Pas de souci, tous les avis sont permis !
loooool !!!
0,01 € le mot !!!!
(mdrrr.. J’arrête le trollisme, le spam, les comments.. ^^)
j’écrase le clavier..( quoique maintenat avec SIRI et consoeurs ..:/ )
ciao
(Encore une missionnaire qui revient d’Inde ou du Bangladesh….^^)
les paroles iraient bien à « Charlo »…en direction du « gars » .. »coincé » ..dans l’industrie.
-_-
(jajaja ^^)
lol
Today, en prenant le train de banlieue, je suis tombé sur une pub pour un roman, un grand panneau….-_-
» Ta seconde vie commencera quand tu comprendra qu’on a qu’une seule vie. »
( J’ai toujours été fasciné par les sept vies des chats, les réincarnations dans les civilisations Egyptienne….( Il y en a plusieurs…)
C’est article est superbe, Anissa! Genau den richtig guten ironischen Humor, mit dem man diesen Halbabschneidern antworten müsste! Wer weiß, ob Herr VP Godemichet sich die Zeit genommen hätte, deine ehrlichen Worte zu lesen?!
Ich als Deutsche habe auch ein wenig mit den Zähnen geknirscht als das KZ erwähnt wurde.
Aber sonst: Bravo! Weiter so!