A l’occasion de la Fête des Pères, j’avais envie de faire un article sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui vous permettra aussi de mieux comprendre pourquoi nos parents ne sont pas ravis quand nous décidons de tout plaquer pour devenir freelance. « Papa, je plaque tout pour devenir freelance! » (On dirait un sujet sur NRJ 12 !)
Je me souviens de la scène comme si c’était hier. Mon père, qui vit en Suisse italienne, était de passage à Paris pour le travail et pour voir sa fille chérie (Je suis sa préférée, normal, je suis fille unique !). C’était une belle journée d’octobre, le soleil brillait alors que nous étions confortablement installés à une table en terrasse. Mon père, gourmand au possible, venait de mordre avec joie dans son premier croissant du jour. Il avait des miettes sur les doigts et de la confiture au coin de la bouche. Son regard m’indiquait : Quelle bonne journée, je suis bien ! Moi, intérieurement, je trépignais face à la nouvelle que j’allais lui annoncer. Je pris une gorgée de thé brûlant, puis me lançais sans introduction aucune. « Papa, je quitte mon job. Je vais devenir freelance. » Il va sans dire que l’expression du visage de mon cher papa se transforma. Il faillit s’étrangler avec son croissant, le reposa sur l’assiette et me dit : « Was ??? » (« Quoi » en allemand. C’est tout de suite plus fort qu’en français », croyez-moi !). Il me regarda donc sans comprendre.
« Mais freelance de quoi ? », me demanda-t-il une fois le premier choc passé. « Rédactrice et traductrice franco-allemande. » Il fit une drôle de tête que seuls les papas maitrisent. Un mélange de froncement de sourcils sceptique et étonnement scandalisé. Ok, ça s’annonçait bien ! Je lui expliquais les raisons du pourquoi du comment. Il savait bien sûr que je n’étais pas heureuse dans mon job et que j’étais à la recherche d’une autre voie. En bon papa qu’il était, il avait évidemment l’espoir que j’allais trouver ma fameuse voie en changeant simplement de CDI. Mais c’est bien là que se situait le problème. Je ne voulais pas d’un CDI, Dieu que non !
En tant de crise, dire aux gens que l’idée d’avoir un CDI vous fait frissonner d’horreur parait tout simplement stupide. Quoi, refuser un CDI alors que d’autres gens en rêveraient ? Oui, c’est un peu con et même condescendant aux yeux de certains. Et en voyant le regard de mon père, je pouvais lire une certaine incompréhension offusquée. J’étais vexée jusqu’au trognon, mais avec le recul je comprends mieux les choses.
Nous sommes nés à une époque où plus personne ou presque ne travaillera toute sa vie dans la même entreprise. A part si vous êtes médecin ou avocat, votre vie professionnelle sera forcément amenée à changer. Aujourd’hui, il existe des métiers qu’il n’y avait pas lorsque nos parents étaient jeunes. Je pense notamment au métier de community manager. Mon père est né à une époque où toutes les familles n’avaient pas de TV en couleur et où l’on débutait dans une entreprise, y montait les échelons et, finalement, prenait sa retraite au bout de 40 ans de bons et loyaux services. C’est caricatural et archi-faux pour certains, mais disons que c’était la tendance globale à l’époque et les reconversions professionnelles en cours de carrière furent rares. Les années ont passé, c’est une autre génération qui prend la relève. Le champ des possibles s’est agrandi grâce à Internet notamment. C’est un monde plus rapide et compétitif, sur fond de crise économique, dans lequel il n’y a certes pas de guerre politique (du moins en France), mais une guerre de l’emploi.
Les entreprises cherchent des moutons à cinq pattes. On nous demande 10 ans d’expérience pour un poste de junior et le salaire de bagnard qui va avec. Pendant mes études, j’ai donc toujours été poussée à me préparer à la mobilité et à la flexibilité, mais aussi à cette compétitivité extrême et pesante. Je vous rappelle mon joli parcours de fille comme il faut : prépa littéraire, CELSA, divers stages, puis CDD, enfin CDI dans une boite qui en fait rêver plus d’un. Résultat ? J’en avais marre de faire comme les autres, de suivre une voie toute tracée alors que le monde s’offrait à moi. Je ne voulais pas me dire que j’allais rester des années dans la même entreprise, évoluer selon un cadre bien défini, quémander chaque année une augmentation (qu’on allait m’accorder ou non, là encore selon une grille prédéfinie). J’allais vivre chaque jour pour les 5 semaines de vacances annuelles. STOP !!! Au secours, j’étouffais ! Cela peut paraitre exagéré, mais pourtant, c’était vrai pour moi.
Entre temps, mon père avait néanmoins terminé son croissant et s’attaquait au même au second. Il buvait à présent son café au lait (beaucoup de lait, beaucoup de sucre, peu de café). Il n’avait pas l’air rassuré, mais étant mon papa d’amour, il me connaissait. J’étais une petite tête brûlée et quand j’avais pris une décision, je ne revenais pas en arrière. Non pas parce que j’étais têtue (ça aussi…), mais parce que je ne prenais pas mes décisions à la légère. Je suis une « rumineuse » (Allez, Larousse 2015 !) de première et me pose mille questions avant de me lancer.
Après un long monologue, je sentais bien que mon paternel n’était guère enchanté par les idées téméraires de sa fille. J’étais terriblement vexée, car mon père ne voulait pas entendre parler de ce projet. Il était contre, point barre. Que je veuille changer d’emploi, il pouvait comprendre. Mais se lancer dans une voie professionnelle pour le moins incertaine et précaire. Non, il ne comprenait pas. Je fulminais et reprenais ma voix d’ado révoltée et boudeuse.
Avec le recul, on en rigole aujourd’hui. Car en réalité, si je suis aujourd’hui mon propre chef, c’est parce que mon père m’a toujours donné le goût de l’entrepreneuriat. Il y a quelques années, il a d’ailleurs lui-même tout plaqué. Il a monté sa boite, quitté l’Allemagne et s’est construit une toute nouvelle vie en Suisse, à l’image de ce qui lui plaisait. Aujourd’hui, il vit à quelques pas du lac de Lugano, dans un cadre absolument idyllique. Il est bronzé toute l’année, heureux et apaisé. Tout ça, c’était donc de sa faute. Lorsque je lui fis cette remarque, il reprit son air de papa pas content et inquiet. « Bah oui Papa, c’est toi qui m’a éduquée ainsi. ». Par précaution, mon père reposa sa tasse. Eh oui, c’était de sa faute tout ce bordel ! En effet, depuis toujours mon père me répétait cette même phrase : « Un jour ta vie va défiler devant tes yeux tel un film. Fais en sorte qu’il te plaise ! »
Alors voilà, me voici donc attablée avec l’homme qui m’a toujours tout donné : son amour, sa protection et son soutien. Et je vois que son regard change petit à petit. Je le sais : Ce n’est pas aujourd’hui qu’il me donnera sa bénédiction. Il faudra d’abord que je fasse mes preuves pour le rassurer. Car un papa (et une maman) a besoin d’être rassuré de votre bien-être (physique et matériel). A l’époque mon père avait peur que ma vie déraille, que je prenne la mauvaise voie et me retrouve sans argent. En même temps, il savait aussi qu’il avait paradoxalement réveillé en moi l’envie de monter mon propre projet, d’être le capitaine de mon navire et metteur en scène d’une vie que je voulais passionnante, drôle et en accord avec mes rêves les plus fous. Il fallait que je sorte de ma zone de confort pour tester mes limites et trouver ma destinée.
Sachez une chose : Vos parents veulent avant tout votre bien. Lorsqu’ils se rendent compte que vous choisissez non pas la voie toute tracée (le chemin de la facilité), mais une route semée d’embûches, ils sont inquiets. C’est une réaction parentale normale et saine ! Beaucoup de freelances sont passés par là. Monsieur m’a raconté que sa mère non plus n’était pas enchantée à l’idée que son fils quitte son CDI bien payé pour une vie de freelance. C’est normal, elle aime son fils et s’inquiète pour lui. Heureusement, il s’en sort très bien : il a un talent fou, il est bosseur et consciencieux (et puis, c’est mon homme, il est forcément génial !).
Ce jour-là donc, assis à la table toujours ensoleillée, mon père me dit : « Je ne suis pas d’accord avec ton choix, mais je te soutiens quoi qu’il arrive. »
Aujourd’hui, bien des mois après, mon père me soutient toujours, il est même fier de moi, parce qu’en somme j’ai un peu suivi sa route. Bien sûr, tout n’est pas si simple. Et si je déclare tous les mois mes revenus auprès du fisc, je dois aussi les déclarer auprès de mon père… pour le rassurer que je ne mange pas que des raviolis en boite !
Sur ces bonnes paroles, je souhaite à tous les papas du monde une joyeuse fête des pères. Désolée, si on vous en fait voir de toutes les couleurs. On a beau faire les 400 coups, vous nous aimerez toujours, n’est-ce pas ?
Superbe article Anissa ! Très touchant ! C’est un très bel hommage rendu à ton papa, bravo 🙂 Bisous
Bonjour Anissa,
En premier lieu et à titre anecdotique, quelques points en commun : moi aussi je suis la plus belle fille de papa, sans aucun doute, car… comme toi… je suis fille unique 🙂 ! Et puis, lui, mon papa, comme le tien, il y a 25 ans il était brun avec une moustache et maintenant il est plutôt grisonnant et sans moustache ! Déjà, ça en fait des points en commun, eeiihhhnn ?? 🙂
Blagues à part, je crois que mes parents ont toujours vu et su que je ne choisissais pas la voie de la facilité mais quelque part ce sont eux qui m’ont poussé à toujours me battre pour ce que je voulais (et ça encore aujourd’hui !).
« J’allais vivre chaque jour pour les 5 semaines de vacances annuelles. STOP !!! Au secours, j’étouffais ! Cela peut paraitre exagéré, mais pourtant, c’était vrai pour moi. » –> Ce sont des mots que je comprends tout à fait ! Encore aujourd’hui, quelques mois après avoir décidé de me lancer toute seule il y a des gens qui n’arrêtent pas de me questionner sur mon projet et je sens que derrière toutes ces questions il y a un côté incompréhension mais aussi un côté jalousie et admiration, tout en même temps. C’est étrange. Évidemment les premiers temps on doit se serrer la ceinture mais je suis 100% convaincue que j’ai fait le bon choix car ce n’est que maintenant que j’ai trouvé un équilibre entre ma vie personnelle et mon travail. Il y a pour moi un constat infaillible : les soirs maintenant je suis zen et contente, avant j’étais plus souvent de mauvaise humeur et insatisfaite.
Bon allez, j’arrête, je pourrais rester des heures à parler de ça !
Bisous et belle journée à toi !